20 juillet 2006

De l'utilité d'une "fat culture"

Photographies de Jan Saudek ©

Est-il vraiment envisageable de créer une "culture de la grosseur", une fat culture comme on dit outre-Atlantique et un peu partout dans le monde ? Il est fréquent, dans le monde de la size, de trouver une mise en parallèle avec le milieu gay. Ainsi, la culture fat dont certains rêvent pourrait, si l’on fait preuve de suffisamment d’imagination et d’ambition pour attirer positivement l’attention des grands médias, gagner ses lettres de noblesse en qualité de contre-culture, au même titre que la culture gay tellement en vogue depuis quelques années.

Quel est donc le point de vue de ces optimistes forcenés ? Je l’ai trouvé, parfaitement et intelligemment résumé, sur le blog d’une Américaine prénommée Deeleigh, Neuroblips, dans un billet intitulé Why fat culture? En voici une adaptation en français :


Une "fat culture", pourquoi ?

En apparence, il semble absurde de vouloir créer "une culture de la grosseur", une fat culture. Les gros, même dans les pays occidentaux, n’appartiennent pas tous à un même milieu. Nous relevons d’ethnies et de catégories socio-professionnelles multiples. Nos orientations sexuelles sont diverses. Certains d’entre nous considèrent leur corpulence comme un atout physique – un quelque chose en plus qui nous rend plus fort – tandis que d’autres la perçoivent comme un handicap ou comme une problématique (que nous souhaiterions) sans réel fondement. Certains d’entre nous sont capables de considérer le corps gros comme esthétique mais, dans notre grande majorité, influencés par la culture de la minceur qui nous a été inculquée, nous ne percevons dans le corps gros rien d’autre que de la laideur.

Pour les esprits étroits, les gros sont des gens qui n’ont aucun respect pour eux-mêmes. C’est pourtant faux mais, de ce fait, dans notre société, nous, les gros, avons tendance à adopter l’une des deux attitudes suivantes : soit dépenser notre argent, notre énergie émotionnelle et notre énergie psychique dans des tentatives d’amaigrissement, soit nous dissocier de notre corps.

Si nous ne sommes pas capables de prendre possession de notre corps, si nous n’acceptons pas notre corps comme une partie intégrante de notre identité, si nous ne vivons pas en pleine conscience dans ce corps qui est le nôtre, comment envisager l’existence même d’une culture basée sur ce corps stigmatisé ?

De fait, pourtant, ce sont là très précisément les raisons pour lesquelles il est nécessaire d’investir une culture de la grosseur, une culture fat.

Pourquoi les publicités Dove mettant en scène des femmes en sous-vêtements blancs, au physique commun, nous paraissent-elles si décalées ? Parce que les images de corps féminins que nous voyons habituellement dans les médias sont, elles, hors du commun, hors norme. Ce sont des photographies réalisées par des professionnels, dans des conditions d’éclairage optimales, avec des modèles féminins qui sont à la fois maquillés à outrance et d’une minceur hors norme. Qui plus est, comme si tout cela ne suffisait pas à les rendre esthétiquement « acceptable », on emploie aussi les techniques de l’aérographe ou de la retouche numérique pour rendre ces femmes encore plus minces, plus lisses, au plus près de ce que l’on considère communément comme la perfection physique. Voilà ce qui nous semble aujourd’hui esthétiquement « acceptable » : une image de femme fabriquée de toutes pièces.

Il n’existe pourtant pas qu’un seul type de beauté. Quand on se met à chercher la beauté chez une personne, quel que soit son physique, on la trouve.

Si l’on veut établir une comparaison, il semble que la culture gay soit un mouvement qu’il est légitime de mettre en parallèle avec la culture fat. En effet, tout comme les gros, les homosexuels constituent une minorité stigmatisée de gens appartenant à toutes les catégories ethniques, sociales et professionnelles. Bien sûr, l’homosexuel n’est pas repérable de par sa seule apparence physique (sauf s’il le souhaite), contrairement au gros, mais nombreux sont ceux qui pensent que l’orientation sexuelle relève d’un choix, même s’il est scientifiquement prouvé que la génétique de l’individu joue un rôle important dans un tel état de fait. Dans de nombreux milieux, on croit que l’homosexualité est une problématique purement morale ou psychologique, et on pense la même chose de la grosseur. Ces derniers temps, depuis quelques années déjà, la culture gay représente pour les grands médias une source d’inspiration particulièrement riche et, de ce fait, l’homosexuel a tout à la fois gagné une certaine respectabilité sociale, et perdu une bonne part du caractère stigmatisant que la société lui infligeait systématiquement il n’y a pas si longtemps.

Ainsi, on peut légitimement penser que si nous parvenons à élaborer une véritable culture fat, les grands médias finiront par s’y intéresser, et la grosseur acquerra ainsi ses lettres de noblesse en qualité de contre-culture digne d’intérêt.

La culture gay est apparue parce que les homosexuels avaient la volonté de se rassembler. Ils et elles forment naturellement des communautés gays parce qu’ils et elles recherchent, tout aussi naturellement, des partenaires gays.

Cependant, les gros, quant à eux, cherchent plutôt à éviter leurs semblables. Le fait même d’être gros constitue une expérience de solitude effarante. Certains d’entre nous recherchent des partenaires qui les apprécient non pas pour leur physique, mais en dépit de leur physique, parce que nous croyons que ceux qui sont spécifiquement attirés par les corps gros sont forcément une race à part de drôles de pervers fétichistes dont il faut se méfier. Et peu importe que, dans notre société, la plupart des gens aient été bien conditionnés à ne considérer comme attirantes que les personnes minces : est-ce qu’on se pose seulement la question de savoir si cela relève d’une perversion fétichiste ?.. Lorsque les gros se rassemblent, c’est souvent pour s’encourager à perdre du poids, et rarement pour d’autres raisons. Comme tout le monde, nous voulons appartenir aux communautés vers lesquelles nous pousse notre milieu social, quel qu’il soit, et ne surtout pas nous associer à une quelconque communauté de gros aux allures de ghetto.

Même si la stigmatisation tend fortement à créer un climat de désunion entre les gros, le besoin d’acceptation, de compréhension et de tolérance que nous avons tous, nous rassemble. Nous voulons faire partie du monde. Nous voulons sentir que nous appartenons à la norme. Nous voulons être en mesure d’agir sur des bases plus égalitaires. Nous nous sentons invisibles parce que nous le sommes quasiment, invisibles, dans les grands médias. Nous nous sentons à l’étroit dans la société, du fait même du peu de place accordée aux gros dans la culture médiatique populaire. Il nous faut insuffler de l’ampleur à la portion congrue que la société condescend à nous accorder aujourd’hui, en développant l’amplitude de nos imaginations et de nos ambitions. De fait, les rôles que nous sommes actuellement censés jouer sont à ce point inacceptables que seuls ceux qui ont d’eux-mêmes une estime très faible sont en mesure d’accepter l’étiquette de « gros » au sens aujourd’hui communément admis du terme. Nous devons nous réapproprier ce terme en le débarrassant de sa connotation péjorative. Nous devons résister et, surtout, reconquérir nos territoires.

J’ai envie de voir dans les médias des gros qui ont réussi dans la vie, qui sont séduisants et qui ont confiance en eux-mêmes : des gens actifs de tous horizons, des athlètes, des artistes, des universitaires, des hommes et des femmes d’affaires, des commerçants… J’ai envie de trouver des bandes dessinées et des jeux vidéo mettant en scène des héros gros. J’ai envie de voir des mannequins et des acteurs gros. J’ai envie de lire des romans qui mettent en avant des protagonistes gros. Nous avons besoin de davantage d’idées positives, nous avons besoin de ne plus nous sentir seuls au monde et, plus que tout encore, nous avons besoin d’images positives omniprésentes et sans cesse renouvelées, jusqu’à parvenir enfin à l’épanouissement véritable de notre esthétique et de nos ambitions.

*****

Le point de vue est intéressant, positif, à mille lieues des discours victimaires et/ou hygiénistes qui nous polluent trop souvent les mouvements de "grosse attitude" existant dans notre douce France. C’est pourquoi il m’a paru intéressant et enrichissant de le reproduire ici, dans la langue de Molière, des fois que certains y puiseraient de bonnes énergies. C’est le point de vue de Deeleigh et de nombreux fat activists américains, pas vraiment le mien. Le mien diffère sensiblement mais, pour éviter tout risque d’indigestion textuelle, je le réserve pour demain. :)

Photographies de Jan Saudek ©

19 juillet 2006

Invitation au voyage en apnée

Dessin de David Gouny ©

Regard cerné de charbon, yeux anthracite, elle a endigué ses chairs dans un corset serré, comme on maîtrise un fleuve dans la sagesse d’un barrage. Corps indocile, seins opulents, ventre insoumis, la pulpe molle qui s’écrase au centre jaillit, plus arrogante encore, aux deux extrémités du vêtement qui dévoile tellement plus qu’il ne masque, dans un déluge de lacs charnels pas du tout artificiels. Pensive, son gros fessier dénudé déployé sur le sofa rouge, elle attend celui qui, chaque semaine, la rejoint dans cette chambre d’hôtel rococo, extravagante à l’image de son outrance, pour un échange de fluides moyennant quelques liquidités.

Elle a peint en rouge écarlate ses lèvres, sa bouche arrondie comme un sens interdit au baiser. Celui qui vient n’embrasse en elle que son sourire vertical, cherchant l’asphyxie dans la démesure de sa chatte et de son cul. Quand il ouvrira la porte, elle se lèvera brièvement, juste le temps de le laisser s’allonger sur le sol, entre ses énormes jambes écartées, la tête posée en arrière sur le sofa, à l’endroit même où elle a laissé le velours cramoisi s’imbiber de la moiteur ardente de son antre génitale humide. Puis elle s’installera de nouveau, assise sur la bouche ouverte de l’étouffé volontaire à qui, d’une voix douce mais ferme, elle intimera l’ordre de lécher tous les replis qui bordent ses orifices gonflés d’émoi.

Il s’exécutera sans mot dire, sur la musique obscène des bruits de salive et de cyprine mêlées, noyé attentionné dans la masse des muqueuses sensibles de cette femme-montagne qui, bientôt, sentira monter en elle un torrent de chaleur orgasmique qui secouera d’une onde sismique ses vastitudes de chairs flasques et tremblotantes, tandis que celui qui suffoque en périphérie de sa matrice se finira seul, à la pogne, jusqu’au bouquet de foutre final.

Quand il sera parti, laissant sur le guéridon un gros billet de couleur mauve, assorti aux murs de la chambre, elle enfilera son trench-coat sur son corps nu et débridé de son corset-carcan, et sortira de l’hôtel en serrant dans sa poche droite les 500 euros si facilement gagnés. Puis elle fera de la monnaie rue de Rivoli, chez Angelina, en savourant avec gourmandise un assortiment de délicieux gâteaux multicolores. Alors, dans son regard cerné de charbon, derrière ses yeux anthracite, passeront des vers de Baudelaire, comme une invitation au voyage lancée à qui voudra la regarder, à partir pour un instant de grisante apnée là où tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté, entre le velours rouge du sofa rococo et la soie vermillon de son entrecuisse hospitalier.

18 juillet 2006

The Protons and the Neutrons : clip lipophile de Darren Hayman

Un clip décalé, de la bonne musique à écouter, une anti-popstar britannique - Darren Hayman - à découvrir, des images de filles qui nous ressemblent, ça vaut bien un petit billet sur ce blog déserté par sa tenancière... doesn'it ?

28 avril 2006

Le nouveau péché de chair

Illustration : Johann Nepomuk Geiger

En vérité, je vous le dis, le péché de chair, aujourd'hui, existe toujours bel et bien. Il a seulement changé de forfait dans la litanie des sept péchés capitaux - de la case "luxure", il est subrepticement passé à la case "gourmandise", sous l'égide des grands prêtres de la religion la plus pratiquée en occident à l'aube du troisième millénaire : le culte de la minceur.

En premier lieu, peuple d'impies, qu'est-ce que le péché ? Vous souvient-il que c'est une transgression volontaire de la loi religieuse, qui met en péril non seulement le salut de l'âme, mais aussi la paix sociale ? A l'origine, le péché de chair s'exprimait dans la consommation indue de sexe : la masturbation rendait sourd (chez nous, en France, mais elle rendait aveugle aux Etats-Unis : question de climat, sans doute), on attachait les mains des jeunes gens dans les pensionnats pour les empêcher de commettre cet acte innommable, quand on ne les harnachait pas d'appareils de torture dissuasifs ; quant aux filles trop portées sur les plaisirs solitaires, il arrivait qu'on les excise, dans les sociétés occidentales du XIXème siècle. De fait, tout acte visant à la quête du plaisir sans intention de procréer était péché. Parallèlement, il a toujours été admis que le sexe constituait une tentation omniprésente, diabolique, à laquelle il fallait avoir la force de résister.

Au XIXème siècle, et même au-delà, on n'hésitait pas à penser que la pratique des plaisirs solitaires finissait rapidement par avoir sur la santé des répercussions néfastes et visibles par tous, que cela soit par (la crainte de) la survenue de la surdité, qui allait révéler au monde les pratiques inavouables auxquelles on s'était adonné, ou par les conséquences fatales de la masturbation, comme en témoigne cette série de seize vignettes au ton apocalyptique, publiée en France en 1844. Pour les femmes, le résultat de l'acte sexuel hors mariage était évident : engrossée, filles-mères, elles devenaient le déshonneur de la famille et portaient à jamais la honte d'une maternité illégitime, signe ô combien tangible du fait qu'elles avaient fauté.

Aujourd'hui, hormis dans les derniers bastions religieux intégristes, masturbation et sexe libre sont devenus de bon aloi. On étale presque naturellement ses expériences sexuelles, mais le péché de chair n'a pas disparu pour autant. La honte séculaire liée à ce que la société considère comme l'addiction à des plaisirs immoraux et vils s'est déplacée sur la prise de nourritures riches : tout comme on se faisait jouir en secret dans les siècles passés, on absorbe désormais en secret les aliments qui sont bons pour les sens mais mauvais pour la ligne, la prise de poids constituant la répercussion néfaste et visible par tous de la faute à laquelle on a succombé. Ainsi, le gras qui enrobe le corps prend, dans l'inconscient collectif, la valeur de la révélation publique du péché commis.

Il n'est nul besoin d'aller chercher loin pour trouver des justifications à ce que j'avance là. Regardez les publicités pour les produits prétendument "minceur" : Allez-y, c'est permis ! Tout fonctionne sur la base de l'interdit et du permis, comme dans la religion. Fleurissent même dans les rayons des pharmacies et des supermarchés de nouvelles formes d'hosties, qui permettraient d'expier, en quelque sorte : des tablettes soi-disant mangeuses de graisses, des cachets qui accélèreraient la combustion des calories, des eaux, même, à valeur quasi-bénite, qui font éliminer. Toutes potions magiques censées réparer la faute du nouveau péché de chair, au même titre que la communion à l'église.

Ainsi, puisque le corps gros représente la manifestation tangible du vice et de l'immoralité de celui qui n'a pas su résister à la tentation (et donc au démon), à l'inverse, le corps mince constitue un signe de vertu et, par conséquent, toujours dans la lignée de notre culture judéo-chrétienne, une promesse de salut : si nous mangeons comme il faut, sans pécher, nous aurons le privilège d'aborder le cimetière en bonne santé. Bonne nouvelle, non ?..

Illustration : Blame Picasso ©

Aurelio Pernice : la chair torride

Illustrations : Aurelio Pernice ©

Aurelio Pernice est un artiste sicilien qui croque la femme aux courbes débordantes sous un jour à la fois naïf et réaliste, décalé et glamour, dans un dédale de couleurs vives où se mêlent humour et douce langueur du quotidien. Il fait des culs de ses égéries des pleines lunes plus vraies et plus lumineuses que nature. Il n'hésite pas à entraîner leurs seins lourds dans des danses endiablées sous la fougue de ses pinceaux en totale liberté. Les femmes d'Aurelio Pernice sont facétieuses et provoquantes, toujours rayonnantes de naturel. Charnelles, sensuelles, gourmandes, féminines en diable, elles dégagent des explosions de vie qui ne peuvent laisser indifférent. Hot hot hot que tout cela... comme le soleil de Syracuse.
A ne pas manquer non plus, ses cartoons, ainsi que ses pin-ups aux seins énormes, sur le site érotico-chic italien Libera Eva.

Jouons à la poupée gonflée


Elle se nomme Lori Fury, et fait de bien belles poupées, comme Delia, ci-contre à gauche, qu'il est possible d'acheter sur son site. On peut aussi se contenter de jouer à fat dolly, grâce à sa page sur laquelle il suffit de faire glisser les différents éléments sur les courbes bien pleines des modèles pour créer de jolies poupées grassouillettes toutes plus délirantes les unes que les autres. La capture d'écran ci-dessus n'est qu'un aperçu de toutes les tenues disponibles. Barbie n'a qu'à bien se tenir... et aller se rhabiller par la même occasion. Ca fait du bien, parfois, de repartir un instant vers l'enfance... de l'art, bien sûr. ;)




27 avril 2006

Sandy Blues en ré mineur

Femme de sable comme l'éphémère château d'un dimanche d'été
Mes courbes se dessinent au gré des vents et des marées
Sirène échouée
Sur la plage abandonnée
De coquillages et vieux tarpés empoisonnés me suis gavée
Et me voici dégueulée par l'océan qui m'a forgée
Mais ne veut plus me porter

Statue précaire sous des allures de colosse rembourré
Dans ces trop-pleins de chair qui rassurent mes fragilités
Matelassée accueillante pour le guerrier fatigué
Qui vient poser sa tête éreintée sur mon corps-oreiller
Et qui malaxe malaxe le coeur de l'automate déboussolé
Redonne vie à la cariatide le temps de quelques nuits acharnées
Et la laisse à ses trop grosses avidités pour rejoindre l'épousée

Dans le sable je me suis plantée
Offrande d'une femme sans qualités
De l'Atlantide tout droit barrée
Fille de Pandore et Prométhée
Eternelle assoiffée jamais jamais désaltérée
Sauvage gourmande dans ses excès
Le vent l'emportera - vous verrez
Sur l'air de Do-Si-La-Do-Ré

22 avril 2006

The Beauty Curve : sinuosités croisées

Photographie/Installation : Aaron Hawks* ©

Elle se nomme Shyly et, si vous comprenez un peu l'anglais, il ne vous aura pas échappé que ce nom-là évoque la timidité. Pourtant, Shyly mène par le biais de son site, The Beauty Curve, un projet plein d'audace : se prêter aux regards d'artistes photographes talentueux et inventifs, de sensibilités variées mais ayant pour trait commun le fait de n'avoir pas froid aux yeux.

La démarche de Shyly est clairement autre que narcissique : ici, l'intérêt réside dans la multiplicité et la diversité des regards artistiques sur un modèle féminin à mille lieues des critères de beauté socio-publicitaires établis, qui résultent en des images époustouflantes d'émotion, d'humanité, de sensualité et de beauté au sens noble du terme.

La démarche de Shyly est généreuse : sur sa page d'accueil, elle explique que l'objectif de son site réside dans la création et la promotion d'un art qui donne du corps gros une image à la fois positive et sans limite particulière dans l'audace et l'impertinence. Elle se félicite d'avoir, à travers son projet, contribué à l'ouverture d'esprit de gens qui n'avaient jamais envisagé le potentiel de beauté des gros, et se réjouit d'avoir ainsi permis à d'autres femmes grosses de porter sur elles-mêmes un regard plus indulgent : J'ai voulu créer un espace qui soit une invitation à reconsidérer nos croyances sur la beauté en général, et les gens beaux en particulier. J'ai toujours été intéressée par les formes de beauté parallèles à la norme et cette forme-ci est tout simplement la plus chère à mon coeur car je suis moi-même une femme grosse qui n'a pas toujours été satisfaite de son reflet dans les miroirs. Soyez les bienvenues... Je vous convie à trouver ici le reflet de vous-même : il est flagrant de beauté, n'en doutez plus, dit-elle.

Let's go, then. Take The Beauty Curve... and enjoy.

* La photographie reproduite ici est tirée de la série par Aaron Hawks, un photographe californien qui ne vous laissera pas insensible si, tout comme moi, vous appréciez l'érotisme décalé et décalqué.

20 avril 2006

Plastik : les grosses s'aiment en 3D

Plastik : voici un film d'animation en 3D, réalisé par Thibault Guérin, étudiant à l'Ecole Emile Cohl de Lyon, qui semble avoir beaucoup plu aux assidues des forums de size français, non pas pour ses qualités artistiques indéniables (il est d'ailleurs sélectionné pour la cuvée 2006 du Festival international du film d'animation de Séoul, le SICAF), mais parce qu'il montre une fille grosse sous un jour qui plaît bien aux filles grosses, apparemment. Elles adorent, elles trouvent ça génial, et ne se contrôlent plus sur le point d'exclamation. Vengeance des BBW, s'exclament-elles en félicitant le réalisateur pour le message qu'on retire de ce film.

Que le grand cric me croque si je me trompe mais, si j'ai souri devant l'humour caustique de ce court métrage, le message que j'y ai perçu ne m'a semblé ni flatteur, ni même en rapport avec la size, si tant est que l'on soit capable de décoller du premier degré. Ce qui m'interroge, ce n'est pas tant l'intention du réalisateur, qui me semble relativement claire, que les réactions d'enthousiasme suscitées dans les communautés corpulentes. Pour l'heure, si ce n'est déjà fait, allez regarder Plastik, ci-dessous ou en cliquant ici même (pour une meilleure qualité d'image), avant que je vous gâche le suspens et que je vous pollue l'esprit de mon regard subjectif, car le débriefing qui suit ne vous épargne aucun détail (ou presque).


*****

Première scène (en noir et blanc) : Travelling sur des images découpées dans des magazines féminins, peuplées de femmes longilignes et de petits dessous affriolants, qui se termine sur une page tirée d'un journal de petites annonces cheap de type Paru Vendu, sur lequel figurent des annonces d'hommes cherchant à rencontrer des femmes. Sur cette même page, une "offre spéciale minceur", qui promet une perte de poids miraculeuse, avec à l'appui le fameux procédé publicitaire désuet : les photos "Avant" et "Après", la case "Après" montrant un personnage féminin de type Barbie anorexique, tandis que le contenu de la case "Avant" a été découpé.

Deuxième scène (toujours en noir et blanc) : La photo de la case "Avant", qui représente une fille aux formes bien pleines, apparaît collée sur un panneau de carton, dans un décor entièrement en carton où tous les éléments (meubles, téléviseur...) ont été découpés dans des magazines. Partout sur les murs (toujours en carton), sont punaisés des bandeaux pastichant des marques de créateurs chères aux minettes (Georgia Armoni, Cucci, Ckenzo, Kookay, etc.). La grosse fille en photo est représentée en sous-vêtements, les yeux clos.

A ce stade, qu'est-ce que je perçois ? Nous sommes dans l'imaginaire sans couleurs et sans reliefs d'une fille mal dans sa peau, qui rêve sa vie par procuration dans les magazines et les catalogues, qui se sent seule puisqu'elle consulte les petites annonces de rencontres, et qui se met en scène, par des collages, dans un décor de maison de poupée en carton-pâte, tout en toc, reflétant son désir ardent d'appartenir à la société de consommation dite glamour.

Troisième scène : Zoom sur le personnage de la fille, qui ouvre un oeil. Zoom immédiat sur l'oeil en gros plan : la couleur apparaît, dans le rose flashy dont est teinté l'iris. Retour sur le décor en carton-pâte, qui passe du noir et blanc au rose flashy omniprésent, procédé qui permet de statuer d'emblée que ce qui suivra est une projection du regard de la fille, donc de son imaginaire.

Quatrième scène : Retour sur la photo de la fille, désormais en couleurs et animée, qui se découvre habillée de vêtements moulants et sexy. La couleur rose est prédominante dans sa tenue : bottes, chemise, fard à paupières et lunettes portées en serre-tête. La fille s'observe un instant, visiblement très satisfaite de sa métamorphose, et se met à prendre des pauses à la manière d'un mannequin devant un photographe. On entend le déclic de l'objectif, et se succèdent des plans fixes qui font figure, en quelque sorte, de photos de mode. L'expression du visage de la fille témoigne d'un état d'auto-satisfaction extrême. Jusqu'à ce que...

A ce stade, qu'est-ce que je perçois ? Nous sommes dans l'imaginaire d'une fille couleur guimauve, une fille à l'eau de rose qui est dans le trip adolescent banal de la reconnaissance sociale par l'apparence, sous les feux de la rampe.

Cinquième scène : ... Jusqu'à ce que tombe à ses pieds un magazine de mode (Vague, pour ne pas le nommer) qui présente en couverture une fille type Barbie filiforme en bikini sexy. Déjà, la mine auto-satisfaite de la protagoniste se transforme en une moue pas bien sympathique. Quasiment dans le même temps, le panneau publicitaire dynamique situé sur le côté, qui contenait jusqu'alors et depuis le début la photo d'un torse d'homme musclé faisant la pub d'un parfum pour homme (Hubo Goss), coulisse pour céder la place à la pub suivante, pour Auvade Lingerie, qui montre une femme mince vue de dos, dans un ensemble soutien-gorge/string rouge qui laisse apparaître ce qu'on a coutume de nommer une chute de reins vertigineuse sur un beau petit cul. Voyant cela, la moue de notre héroïne se transforme en une grimace de jalousie qui lui fait les yeux exhorbités et la bouche tordue.

Sixième scène : A cet instant même, le téléviseur se met en marche, retransmettant un défilé de mode dans lequel un top model longiligne marche sur un podium au rythme d'une musique techno, vêtue d'un catsuit rouge moulant très suggestif. Elle porte des lunettes rouges qu'elle ôte en bout de podium, pour terminer sa presentation par un sourire que je qualifierais de sensuel. Tout au long de ce défilé, notre héroïne, qui commence par regarder l'émission d'un air quelque peu dubitatif, pose son regard alternativement sur le défilé en question, le magazine Vague et sa Barbie en bikini en couverture, et le panneau publicitaire qui montre le beau petit cul du mannequin d'Auvade Lingerie. "Prisonnière" de l'image découpée qu'elle est, elle se palpe et s'inspecte en fonction de ce qui prime pour elle sur les images de mannequins-papier glacé auxquelles elle se réfère : elle se palpe le ventre d'un air effaré en voyant la taille fine de la couverture de Vague ; décontenancée, elle se tourne pour inspecter son fessier en voyant le petit cul de la pub Auvade et, enfin, son visage prend une expression de grande méchanceté (les prunelles de ses yeux se teintant d'un rouge-colère) quand elle voit la top model du défilé ôter ses lunettes et finir sa prestation sur un sourire glamour. Elle lève alors les yeux vers ses propres lunettes, portées en serre-tête, et prend un air littéralement diabolique qui préfigure le plan qu'elle ne tarde pas à mettre à exécution : elle ôte ses vêtements et chausse ses lunettes roses, se retrouvant ainsi en sous-vêtements rouges, bottée de rose, l'air ravi.

A ce stade, qu'est-ce que je perçois ? L'héroïne est incapable d'exister par elle-même. Elle est prisonnière de son imagerie-papier glacé et n'agit en aucun cas sous l'impulsion d'un imaginaire fertile, mais seulement par mimétisme envers ses modèles de référence, qu'elle envie tant que, par dépit, elle leur voue une jalousie hostile.

Septième scène : Se ramassant sur elle-même pour faire un bond qui va faire décoller son image du carton sur lequel elle est scotchée, elle se chiffonne en l'air en une boule de papier qui va s'insérer dans le magazine Vague, qui se met à tressauter comme s'il s'y déroulait une lutte intense. La Barbie en bikini de la couverture est éjectée du magazine : elle s'éloigne, droite et digne, après avoir vitupéré contre la fauteuse de troubles. La photo de notre héroïne désormais en sous-vêtements rouges revient se coller sur son carton, et la fille observe avec satisfaction la couverture de Vague, sur laquelle elle figure désormais, à la place de la Barbie filiforme.

Huitième scène : Retour du panneau publicitaire Auvade Lingerie qui succède à celui d'Hubo Goss. Notre héroïne prend à nouveau son air satanique et, après que son image se soit scindée en lamelles, elle s'incruste dans le panneau où, apparaissant de dos et en string, dans la même tenue que sa "rivale" mince, elle pousse cette dernière hors du cadre d'un grand coup de hanche.

Neuvième scène : Retour sur la photo de notre héroïne en sous-vêtements rouges, collée sur son carton. Le téléviseur et le défilé de mode qui s'y déroulent apparaissent en arrière-plan. Cette fois, l'image de la protagoniste se brouille à la manière d'une télé qui se dérègle, avant de totalement se fondre dans le téléviseur. Désormais présente sur le podium, mais tout d'abord hors champ, notre héroïne décoche ce que l'on imagine être un puissant uppercut à la top model du défilé, qui vient valdinguer à moitié K.O assise sur le podium. Apparaît alors notre protagoniste, qui se met à défiler à sa place sous son oeil médusé, pleine d'aplomb sous les acclamations enthousiastes du public et sous les flashes qui crépitent de tous côtés. La scène se termine, après un mouvement de caméra tournant autour de l'héroïne, sur un gros plan sur son sourire béat et niais.

A ce stade, qu'est-ce que je perçois ? Dès lors que l'héroïne se met en action, sa jalousie hostile se transforme en attitude revancharde agressive. Elle est prête à tout écraser sur son passage pour prendre la place de celles qui sont à la fois ses modèles et ses rivales. La scène de son propre défilé sur le podium, où elle s'imagine, béate et niaise, acclamée par la foule et matraquée par les photographes, alors que rien ne bougeait dans la salle lors du défilé de la top model, témoigne des proportions surdimensionnées de son ego.

- Coupure générique -

Scène de fin : L'image revient en noir et blanc, dans le même cadre de journaux et magazines découpés qu'au début et, plus précisément, sur l'image de la publicité de l'"offre spéciale minceur", avec un zoom sur la photo de la fille filiforme au sourire Colgate qui figure dans la case "Après". Notre héroïne tape sur son épaule, la filiforme se retourne et la regarde d'un air dédaigneux avant de se faire dégommer d'un grand coup d'épaule qui l'envoie bouler dans la case "Avant", vide puisque la photo qui y figurait a été découpée, et elle tombe donc dans le précipice en hurlant. Notre héroïne prend sa place dans la case "Après", visiblement très satisfaite.

A ce stade, qu'est-ce que je perçois ? L'héroïne, Plastik toute en toc dans son rêve rose, a dégommé ses rivales minces, qui lui faisaient de l'ombre : elle est de retour dans sa réalité sans couleurs et sans reliefs mais elle vient quand même occuper le terrain dans la case "Après". Plusieurs interprétations possibles pour cette fin, sans doute : la fille mince est poussée dans le vide par la fille grosse, elle y disparaît définitivement. La fille grosse pose avec un air satisfait sous l'écriteau "Après". La question est : "Après" quoi ? "Après moi, le déluge ?" "Après les régimes, l'obésité garantie ?" "Après le laminage de la société de consommation, toutes les filles seront grosses ?" Après, après... à chacun de voir ce qu'il perçoit. J'en dis plus ci-dessous sur ma propre perception subjective.

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Si j'ai pris la peine de faire le debriefing in extenso de ce petit film d'animation, c'est pour montrer à quel point, il me semble, à aucun moment, cette grosse héroïne n'apparaît sous un jour un tantinet flatteur ou sympathique, voire même tout simplement humain. D'ailleurs, le titre est suffisamment évocateur : Plastik. Du toc. Du superficiel. Tout ce qui l'anime, ce sont des rêves de consommation et de gloire, rose bonbon et revanchards, qui oublient tout de l'essentiel de la vie.

Pour autant, je ne crois pas non plus que le réalisateur ait choisi de modéliser son personnage sous la forme d'une fille grosse pour attaquer les filles grosses. Je pense que, dans un souci de simplification des archétypes, il a choisi l'exact opposé physique des top models qui représentent la superficialité, pour symboliser la vacuité, la futilité et la banalité de toutes les filles qui ont ce genre de rêves en toc, qu'elles soient grosses ou minces.

Plastik, un court métrage de FA à la gloire des BBW, comme je l'ai lu sur des forums de size français ?! Dammit, les grosses de chez nous sont-elles à ce point en quête d'images auxquelles s'identifier qu'elles en attrapent des poutres dans les yeux et des lacunes dans les synapses dès lors qu'elles voient la représentation d'une grosse fille répondant à des canons esthétiques qu'elles considèrent comme flatteurs, peu importe le propos derrière les images ? Mais enfin, si elles s'aiment en revanchardes sans une once de cervelle et de scrupule mais avec des zoulies bottines roses et des formes bien lissées par la modélisation en 3D, après tout, grand bien leur fasse.

Quoi qu'il en soit, bravo à Thibault Guérin pour son film, et bon vent à Séoul. ;)

David Gouny : le trash, pas la triche

Illustration : David Gouny ©

David Gouny, je l'ai découvert il y a peu, au gré du vent des hyperliens, d'abord sur son blog, Fat Comix, d'où sont tirées les illustrations de mon billet précédent (Pervers fétichiste, le FA ?), puis sur son site, où il expose quelques peintures et dessins. Toutes les planches qu'il donne à voir reflètent son obsession de la femme grosse, qu'il croque avec humour, férocité et tendresse à la fois.
En cherchant à en savoir plus sur lui, à l'aide de mon ami Google, j'ai lu ici, entre autres petites choses, qu'il pourrait bien être "le fils naturel de Botero et de Sid Vicious", ce qui, dammit, est tout à fait plausible, et plus encore quand on a entendu, tout droit propulsé du dessin à notre imagination fertile, son remake de Anarchy in the UK des Sex Pistols en I wan-na a face sitting par les Fat Pistols.
Il est plutôt trash, David Gouny, très loin des images lisses de la femme ronde trop souvent érigée en archétype d'on-ne-sait-quoi. Ses grosses à lui ne sont pas belles, avec leur mascara qui coule, leurs visages boursoufflés, leurs seins qui tombent et leurs ventres encombrants. Pas belles, non, bien mieux que cela : somptueuses d'humanité.
Il est plutôt touchant, David Gouny, dans son obsession du face sitting, sur ses dessins qui le représentent, minuscule souriceau, plongeant dans l'intimité génitale ou fessière de ses femmes-montagnes, comme pour remonter dans la matrice originelle.
Amateur de grosses compulsif et pas du tout honteux, il est plutôt bien, David Gouny, dans ce genre de comique de dérision et d'autodérision qui laisse transparaître, avec un naturel désarmant, une alléchante sensibilité à fleur de peau. Plutôt bien, j'ai dit ? Très bien, même.
http://davidgouny.free.fr
http://20six.fr/fat-comix
http://www.fotolog.com/davidgouny

18 avril 2006

Pervers fétichiste, le FA ?

Illustration : David Gouny, Fat Comix ©

Ainsi, le FA, Fat Admirer, que je nommerai aussi souvent que possible l'amateur de grosses car il est plus que temps d'appeler un chat un chat (miaou, mes chéris), serait, de l'aveu même de bon nombre des femmes-objets/sujets de ses concupiscences, un fieffé pervers fétichiste monomaniaque qu'il convient de traiter avec méfiance, voire avec mépris et, de son propre aveu, trop souvent, un pauvre petit incompris de la société normative qui l'obligerait, carrément, à cacher cet honteux penchant sexuel jusqu'à ce qu'il ait la force de caractère suffisante pour faire son coming out.

Tout cela me pose questions, et je vais donc tenter d'apporter ici quelques hypothèses de réponses. L'amateur de grosses, l'authentique, celui qui bande spécifiquement pour les bourrelets, les seins qui tombent, la cellulite, les vergetures, et non malgré tout cela, c'est indéniable, dans le contexte occidental actuel, est un pervers fétichiste. Au même titre que celui qui bande pour les talons aiguilles ou les tenues en latex ou les culottes Petit-Bateau ou les que-sais-je-encore. Qu'est-ce donc alors, qui le différencie des autres types de fétichistes sexuels et qui fait qu'il est fréquemment rejeté par celles-là même qui le font triquer, et qu'il se sent conspué socialement parlant ?

L'amateur de grosses ne fait pas dans la facilité en matière de perversion fétichiste : l'objet de ses désirs est doté d'intelligence et, accessoirement, de la parole, ce qui n'est le cas ni des talons aiguilles, ni des tenues en latex, ni des culottes Petit-Bateau, ni des que-sais-je-encore, on en conviendra. Sauf si les que-sais-je-encore sont des êtres humains présentant des particularités physiques hors norme. Ainsi, on imagine aisément que ceux ou celles qui clament haut et fort un penchant sexuel particulier et exclusif pour les unijambistes, les culs-de-jatte, les grands brûlés, les tétraplégiques ou autres handicapés, ou encore pour les nains, les géants ou autres freaks, subissent le même sort. Souvenez-vous, par exemple, des réactions souvent scandalisées ou, pour le moins, indisposées, taxant l'oeuvre de morbidité malsaine, au film Crash de David Cronenberg (1996) : là, le fétichisme portait sur l'érotisation des blessures découlant d'accidents de voitures, les protagonistes allant jusqu'à rechercher de nouveaux chocs, et donc de nouvelles blessures, pour atteindre des troubles sexuels extrêmes.

Pourquoi ce parallèle certes simplificateur ? Parce que l'obésité est une déformation, voire une difformité, du corps sain tel que défini par le diktat hygiéniste des sociétés occidentales actuelles. Les discours psy en tous genres, largement relayés par les médias, ont aussi martelé l'inconscient collectif de l'idée selon laquelle l'obésité n'est autre qu'une blessure tangible et visible de l'âme. Les obèses sont donc devenus les nouveaux freaks à la mode, ce qui n'est pas sans poser problème à ceux d'entre eux (et surtout : d'entre elles) qui ne souhaiteraient rien tant que se fondre dans le paysage et y vivre en paix sans que tout leur rappelle sans cesse leur statut de monstre.

Ainsi, souvent, la grosse ne perçoit pas celui qui l'apprécie précisément pour sa grosseur comme un allié, mais comme un prédateur de plus dans le bataillon des forces hostiles, un dérangé du ciboulot qui bande pour ce qui, elle, la révulse devant le miroir déformant des diktats à la mode, ou devant son miroir tout court : ses caractéristiques visibles et socialement proclamées de morbidité malsaine. Il faut une bonne dose de cérébralité dans l'approche du sexe pour transcender les disgrâces, les difformités, les blessures, et ainsi les transformer en attraits sources de troubles érotiques : l'amateur de grosses, comme tout fétichiste, est un cérébral avant tout et, ce qui génère souvent l'antagonisme et l'incompréhension avec les grosses, c'est que la plupart d'entre elles, comme l'immense majorité des gens, fonctionnent sur le mode de la sensualité pur sucre, et non de la cérébralité, surtout envers ce qui leur appartient spécifiquement. Car se transcender soi-même, autrement dit, transgresser l'ordre établi à son propre propos, autrement dit encore, transformer ses causes de souffrances socio-psychologiques en sources de plaisirs érotiques, implique de fonctionner soit dans un registre de cérébralité extrême, soit sur un mode de nihilisme profond, conscient ou non.

Pour autant, compte tenu de l'histoire de la perception du corps féminin, les choses sont-elles aussi simples ? Bien sûr que non. Les amateurs de grosses n'ont pas tous le même discours quant à leur penchant. Les plus radicaux (les plus cérébraux, aussi) évoquent leur attrait pour la graisse débordante, les gros ventres tombants, les mamelles énormes et flasques, les vergetures... : en bref, ils bandent pour l'extra-ordinaire. Les plus modérés parlent de l'extrême féminité des femmes grasses, de leur côté maternel, de leur aspect confortable et rassurant... : en bref, ils bandent pour l'archétype féminin d'un âge révolu en occident, mais toujours bien présent dans l'inconscient collectif, allant de la mythique sculpture préhistorique de la Vénus de Willendorf aux beautés rondes et lisses du peintre colombien contemporain Fernando Botero.

Cette diversité des penchants est sans doute à l'origine de l'étrange classification implicitement chiffrée des grosses au sein des communautés de size acceptance à l'échelon international : la BBW (Big Beautiful Woman), qui constitue l'étalon de référence avec ses 120 à 140 kg, ne va pas sans ses consoeurs la MSBBW (Mid-Size BBW) et ses 80 à 110/120 kg, et la SSBBW (Super-Size BBW) et ses 140/150 kg minimum. Autrement dit, nous avons les grosses, les moyennement grosses et les super grosses, les Fat Admirers faisant leur choix dans ces étals dont les étiquettes rappellent étrangement les écriteaux en vitrine des boucheries. De là, peut-on en vouloir aux grosses de se méfier des FA ? Il semble bien que non. Car il est malaisé de se dire que s'il advient qu'on réintègre une norme sociale acceptable en termes de kilos, on ne plaira plus à son partenaire. Tout aussi malaisé que son contraire, beaucoup plus banal : la hantise de la prise de poids chez les femmes minces, qui craignent de ne plus être séduisantes si elles s'enrobent trop.

Ainsi, involontairement peut-être, l'amateur de grosses exerce sur ses heureuses élues une pression et un sentiment d'inquiétude, au même titre que l'amateur exclusif de minces qui, lui, j'en conviens, ne se fait pas taxer de perversion fétichiste et n'a pas à cacher son penchant, dans la mesure où il cadre parfaitement dans les critères socio-publicitaires actuellement en vigueur. Peut-être est-ce injuste mais tout n'est ici question que d'adéquation à l'ordre établi : est considéré comme pervers ce qui en dévie. L'amateur de grosses dérive de la norme, tandis que l'amateur de minces s'y conforme.

Pour autant, ces déviances ou ces conformités, étant donné qu'elles touchent la sphère de l'intime, ne résultent pas de choix librement consentis mais des expériences singulières, plus ou moins repérées ou inconscientes, qui ont tissé la toile de la fantasmatique sexuelle de l'individu. Voir Descartes qui, bien avant Freud, et avec des justifications tout autres que celles de la psychanalyse, avait constaté que l'émoi était régi par des mécanismes de mémoire ; en l'occurrence, il explique ainsi son attirance pour les femmes louches (comprenez : atteintes de strabisme) : Lorsque j'étais enfant, j'aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche ; au moyen de quoi l'impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s'y faisait aussi pour émouvoir en moi la passion de l'amour, que longtemps après en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu'à en aimer d'autres, pour cela seul qu'elles avaient ce défaut ; et je ne savais pas néanmoins que c'était pour cela. (Lettre à Chanut, 6 juin 1647)

Alors, non, les amateurs de grosses de ne sont pas de vilains prédateurs, mais des hommes, des hommes, quoi de plus naturel en somme, qui reconnaissent et, parfois, tentent d'assumer socialement leur fétichisme. Ce qui les perd, au fond, c'est leur franchise. Dans nos sociétés prétendument sexuellement libérées, mais en réalité diablement formatées aux règles de bienséance libidinale édictées par les médias (ainsi, il ne vous aura pas échappé qu'il est devenu de bon ton de pratiquer l'échangisme ou le sado-masochisme soft, depuis quelques années), on n'admet pas l'étalage des intimités singulières, hormis pour les passer à la moulinette télévisuelle du voyeurisme de bas étage et/ou de la psychologie de comptoir.

Ce qui différencie l'amateur de grosses des autres types de pervers fétichistes, c'est que l'objet de son fétichisme est humain, et qu'il le sait. Partant du principe établi que les gros sont souvent des humains plus fragiles que d'autres étant donné les diverses discriminations dont ils sont l'objet, l'amateur de grosses, dans un souci d'altruisme et de solidarité envers ses partenaires, cherche parfois à sortir de la sphère de l'intime pour entrer dans celle du social, voire du politique au sens large du terme, en mettant en avant ses goûts sexuels dans le but de faire acte de subversion dans l'ordre établi des critères de beauté morphologiquement corrects. En de telles occasions, il s'en prend fréquemment plein la gueule, y compris de la part de celles qu'il pensait être ses alliées. Je le disais plus haut : on n'étale pas ainsi impunément ses intimités singulières quand elles ne vont pas dans le sens du vent. Pourtant, n'est-ce pas en bouleversant ainsi la mémoire du vent que l'on forge des turbulences qui renouvellent sans cesse l'intelligence du monde ? Quand la grosse ne sera plus considérée comme un freak, le Fat Admirer ne sera plus considéré comme un pervers : il n'existera même plus de nom spécifique pour le désigner.

Science fiction que tout cela ? Au train où vont les choses en terme d'obésité humaine, dans un siècle ou deux, ne devrait-on pas s'attendre à voir apparaître des Thin Admirers (comprenez : amateurs de minces) vantant le trouble ô combien pervers et fétichiste de l'évanescence ténue des femmes osseuses aux genoux cagneux, aux cernes creuses et bleutées et aux côtes si apparentes qu'elles semblent prêtes à transpercer leurs peaux fragiles et diaphanes ?

Illustration : David Gouny, Fat Comix ©

Un gros électron libre

Illustration : Peter B, Rundekunst.de ©

Chez moi, tout tend vers le débordement. Depuis toujours. A commencer par mon corps, qui prend ses aises au fil des ans, grimpant dans l'échelle des tailles et dégringolant des escabeaux trop fragiles pour supporter les poids à trois chiffres bien sonnés. Ainsi, j'ai dû renoncer à la peinture en bâtiment, ce qui n'a pas été pour déplaire à mon excès de paresse. Rien toutefois ne m'a jamais empêché de jouer du pinceau de mes doigts ou de ma langue pour tétaniser de désir mes partenaires alanguis ou fougueux, et c'est bien ce qui compte car, si mon corps exulte de chair, c'est seulement qu'il reflète à merveille mes gourmandises avouées et revendiquées. Sensualités excessives : j'aime trop ce qui m'est bon pour me contenir dans une norme dite raisonnable. Je baise trop, je mange trop, je parle trop (sauf quand je suce). Je suis too much ? La belle affaire... Dans ma vie, les aficionados de la balance, du Pro-Activ, du Slimfast, de la perfection-qui-n'est-pas-de-ce-monde et de la lime romantique tout en toc sont cordialement invités à passer leur chemin en souriant un gentil "non merci" d'un signe de tête, sans prise de bec. Et ça se passe toujours bien, étonnamment (?).

A mille lieues des discours victimaires des bataillons français d'alarmistes auto-ghettoïsés en mouvements dits de size acceptance (comprenez : acceptation de la corpulence) : leur but, en terme de séduction, est à la fois d'aider les gens gros, les femmes, essentiellement, à s'accepter et à s'apprécier telles qu'elles sont, et de convaincre la société des minces de la flagrante beauté des obèses, avec à l'appui moult sites de photographies plus ou moins suggestives (et excessivement retouchées) de BBW (comprenez : big beautiful woman, soit belle grosse) adulées par des FA (comprenez : fat admirer, soit amateur de grosses). Pardonnez les explications de texte mais, à voir la difficulté qu'ont ces gens-là à sortir des sigles anglo-saxons pour employer des mots parlants pour tout un quidam, je suis portée à croire qu'ils ont peur de se créer un lexique en bon français qui, peut-être, en froisserait plus d'une et plus d'un. Pour être un peu crédibles en dehors de leurs cercles concentriques fermés et, surtout, pour être un tantinet subversifs, ne devraient-ils pas commencer par chasser leur propre peur des vocables de base et par réhabiliter celui qui fâche par dessus tout : l'affreux, l'abominable, le terrible mot "GROS" ? Moi, je suis grosse et il me va comme un gant élastique, ce mot qui dit bien à quel point je dépasse la mesure ordinaire, loin des litotes consensuelles des repaires tiédasses d'adiposité et d'auto-congratulation que sont les principaux sites de size français.

Je ne suis ni ronde, ni jolie, ni pulpeuse, ni Vive moi. Je suis grosse et ça se voit, quoi que je dise, quoi que je fasse. Il m'arrive d'être tantôt belle, tantôt moche devant mon miroir ou dans le regard de l'autre, comme n'importe quel être de quelque corpulence que ce soit, selon que les aléas de mon existence me poussent à m'aimer ou à me bafouer. Grosse curieuse que je suis, en allant rôder sur les sites français de size acceptance pour voir de près de quoi il s'agissait, étant - par définition kilogrammétrique - a priori concernée, je me suis rarement sentie aussi inadéquate dans le paysage tant je ne me suis pas reconnue dans le discours ambiant.

D'où la création de ce blog, pour faire entendre une autre voix, qui ne sera ni celle de la raison, ni celle de la sagesse. Seulement la voie subjective sinueuse d'une grosse parfois compliquée mais sans complexes, qui déteste rien tant que les chapelles et leurs sentiers battus.