20 avril 2006

Plastik : les grosses s'aiment en 3D

Plastik : voici un film d'animation en 3D, réalisé par Thibault Guérin, étudiant à l'Ecole Emile Cohl de Lyon, qui semble avoir beaucoup plu aux assidues des forums de size français, non pas pour ses qualités artistiques indéniables (il est d'ailleurs sélectionné pour la cuvée 2006 du Festival international du film d'animation de Séoul, le SICAF), mais parce qu'il montre une fille grosse sous un jour qui plaît bien aux filles grosses, apparemment. Elles adorent, elles trouvent ça génial, et ne se contrôlent plus sur le point d'exclamation. Vengeance des BBW, s'exclament-elles en félicitant le réalisateur pour le message qu'on retire de ce film.

Que le grand cric me croque si je me trompe mais, si j'ai souri devant l'humour caustique de ce court métrage, le message que j'y ai perçu ne m'a semblé ni flatteur, ni même en rapport avec la size, si tant est que l'on soit capable de décoller du premier degré. Ce qui m'interroge, ce n'est pas tant l'intention du réalisateur, qui me semble relativement claire, que les réactions d'enthousiasme suscitées dans les communautés corpulentes. Pour l'heure, si ce n'est déjà fait, allez regarder Plastik, ci-dessous ou en cliquant ici même (pour une meilleure qualité d'image), avant que je vous gâche le suspens et que je vous pollue l'esprit de mon regard subjectif, car le débriefing qui suit ne vous épargne aucun détail (ou presque).


*****

Première scène (en noir et blanc) : Travelling sur des images découpées dans des magazines féminins, peuplées de femmes longilignes et de petits dessous affriolants, qui se termine sur une page tirée d'un journal de petites annonces cheap de type Paru Vendu, sur lequel figurent des annonces d'hommes cherchant à rencontrer des femmes. Sur cette même page, une "offre spéciale minceur", qui promet une perte de poids miraculeuse, avec à l'appui le fameux procédé publicitaire désuet : les photos "Avant" et "Après", la case "Après" montrant un personnage féminin de type Barbie anorexique, tandis que le contenu de la case "Avant" a été découpé.

Deuxième scène (toujours en noir et blanc) : La photo de la case "Avant", qui représente une fille aux formes bien pleines, apparaît collée sur un panneau de carton, dans un décor entièrement en carton où tous les éléments (meubles, téléviseur...) ont été découpés dans des magazines. Partout sur les murs (toujours en carton), sont punaisés des bandeaux pastichant des marques de créateurs chères aux minettes (Georgia Armoni, Cucci, Ckenzo, Kookay, etc.). La grosse fille en photo est représentée en sous-vêtements, les yeux clos.

A ce stade, qu'est-ce que je perçois ? Nous sommes dans l'imaginaire sans couleurs et sans reliefs d'une fille mal dans sa peau, qui rêve sa vie par procuration dans les magazines et les catalogues, qui se sent seule puisqu'elle consulte les petites annonces de rencontres, et qui se met en scène, par des collages, dans un décor de maison de poupée en carton-pâte, tout en toc, reflétant son désir ardent d'appartenir à la société de consommation dite glamour.

Troisième scène : Zoom sur le personnage de la fille, qui ouvre un oeil. Zoom immédiat sur l'oeil en gros plan : la couleur apparaît, dans le rose flashy dont est teinté l'iris. Retour sur le décor en carton-pâte, qui passe du noir et blanc au rose flashy omniprésent, procédé qui permet de statuer d'emblée que ce qui suivra est une projection du regard de la fille, donc de son imaginaire.

Quatrième scène : Retour sur la photo de la fille, désormais en couleurs et animée, qui se découvre habillée de vêtements moulants et sexy. La couleur rose est prédominante dans sa tenue : bottes, chemise, fard à paupières et lunettes portées en serre-tête. La fille s'observe un instant, visiblement très satisfaite de sa métamorphose, et se met à prendre des pauses à la manière d'un mannequin devant un photographe. On entend le déclic de l'objectif, et se succèdent des plans fixes qui font figure, en quelque sorte, de photos de mode. L'expression du visage de la fille témoigne d'un état d'auto-satisfaction extrême. Jusqu'à ce que...

A ce stade, qu'est-ce que je perçois ? Nous sommes dans l'imaginaire d'une fille couleur guimauve, une fille à l'eau de rose qui est dans le trip adolescent banal de la reconnaissance sociale par l'apparence, sous les feux de la rampe.

Cinquième scène : ... Jusqu'à ce que tombe à ses pieds un magazine de mode (Vague, pour ne pas le nommer) qui présente en couverture une fille type Barbie filiforme en bikini sexy. Déjà, la mine auto-satisfaite de la protagoniste se transforme en une moue pas bien sympathique. Quasiment dans le même temps, le panneau publicitaire dynamique situé sur le côté, qui contenait jusqu'alors et depuis le début la photo d'un torse d'homme musclé faisant la pub d'un parfum pour homme (Hubo Goss), coulisse pour céder la place à la pub suivante, pour Auvade Lingerie, qui montre une femme mince vue de dos, dans un ensemble soutien-gorge/string rouge qui laisse apparaître ce qu'on a coutume de nommer une chute de reins vertigineuse sur un beau petit cul. Voyant cela, la moue de notre héroïne se transforme en une grimace de jalousie qui lui fait les yeux exhorbités et la bouche tordue.

Sixième scène : A cet instant même, le téléviseur se met en marche, retransmettant un défilé de mode dans lequel un top model longiligne marche sur un podium au rythme d'une musique techno, vêtue d'un catsuit rouge moulant très suggestif. Elle porte des lunettes rouges qu'elle ôte en bout de podium, pour terminer sa presentation par un sourire que je qualifierais de sensuel. Tout au long de ce défilé, notre héroïne, qui commence par regarder l'émission d'un air quelque peu dubitatif, pose son regard alternativement sur le défilé en question, le magazine Vague et sa Barbie en bikini en couverture, et le panneau publicitaire qui montre le beau petit cul du mannequin d'Auvade Lingerie. "Prisonnière" de l'image découpée qu'elle est, elle se palpe et s'inspecte en fonction de ce qui prime pour elle sur les images de mannequins-papier glacé auxquelles elle se réfère : elle se palpe le ventre d'un air effaré en voyant la taille fine de la couverture de Vague ; décontenancée, elle se tourne pour inspecter son fessier en voyant le petit cul de la pub Auvade et, enfin, son visage prend une expression de grande méchanceté (les prunelles de ses yeux se teintant d'un rouge-colère) quand elle voit la top model du défilé ôter ses lunettes et finir sa prestation sur un sourire glamour. Elle lève alors les yeux vers ses propres lunettes, portées en serre-tête, et prend un air littéralement diabolique qui préfigure le plan qu'elle ne tarde pas à mettre à exécution : elle ôte ses vêtements et chausse ses lunettes roses, se retrouvant ainsi en sous-vêtements rouges, bottée de rose, l'air ravi.

A ce stade, qu'est-ce que je perçois ? L'héroïne est incapable d'exister par elle-même. Elle est prisonnière de son imagerie-papier glacé et n'agit en aucun cas sous l'impulsion d'un imaginaire fertile, mais seulement par mimétisme envers ses modèles de référence, qu'elle envie tant que, par dépit, elle leur voue une jalousie hostile.

Septième scène : Se ramassant sur elle-même pour faire un bond qui va faire décoller son image du carton sur lequel elle est scotchée, elle se chiffonne en l'air en une boule de papier qui va s'insérer dans le magazine Vague, qui se met à tressauter comme s'il s'y déroulait une lutte intense. La Barbie en bikini de la couverture est éjectée du magazine : elle s'éloigne, droite et digne, après avoir vitupéré contre la fauteuse de troubles. La photo de notre héroïne désormais en sous-vêtements rouges revient se coller sur son carton, et la fille observe avec satisfaction la couverture de Vague, sur laquelle elle figure désormais, à la place de la Barbie filiforme.

Huitième scène : Retour du panneau publicitaire Auvade Lingerie qui succède à celui d'Hubo Goss. Notre héroïne prend à nouveau son air satanique et, après que son image se soit scindée en lamelles, elle s'incruste dans le panneau où, apparaissant de dos et en string, dans la même tenue que sa "rivale" mince, elle pousse cette dernière hors du cadre d'un grand coup de hanche.

Neuvième scène : Retour sur la photo de notre héroïne en sous-vêtements rouges, collée sur son carton. Le téléviseur et le défilé de mode qui s'y déroulent apparaissent en arrière-plan. Cette fois, l'image de la protagoniste se brouille à la manière d'une télé qui se dérègle, avant de totalement se fondre dans le téléviseur. Désormais présente sur le podium, mais tout d'abord hors champ, notre héroïne décoche ce que l'on imagine être un puissant uppercut à la top model du défilé, qui vient valdinguer à moitié K.O assise sur le podium. Apparaît alors notre protagoniste, qui se met à défiler à sa place sous son oeil médusé, pleine d'aplomb sous les acclamations enthousiastes du public et sous les flashes qui crépitent de tous côtés. La scène se termine, après un mouvement de caméra tournant autour de l'héroïne, sur un gros plan sur son sourire béat et niais.

A ce stade, qu'est-ce que je perçois ? Dès lors que l'héroïne se met en action, sa jalousie hostile se transforme en attitude revancharde agressive. Elle est prête à tout écraser sur son passage pour prendre la place de celles qui sont à la fois ses modèles et ses rivales. La scène de son propre défilé sur le podium, où elle s'imagine, béate et niaise, acclamée par la foule et matraquée par les photographes, alors que rien ne bougeait dans la salle lors du défilé de la top model, témoigne des proportions surdimensionnées de son ego.

- Coupure générique -

Scène de fin : L'image revient en noir et blanc, dans le même cadre de journaux et magazines découpés qu'au début et, plus précisément, sur l'image de la publicité de l'"offre spéciale minceur", avec un zoom sur la photo de la fille filiforme au sourire Colgate qui figure dans la case "Après". Notre héroïne tape sur son épaule, la filiforme se retourne et la regarde d'un air dédaigneux avant de se faire dégommer d'un grand coup d'épaule qui l'envoie bouler dans la case "Avant", vide puisque la photo qui y figurait a été découpée, et elle tombe donc dans le précipice en hurlant. Notre héroïne prend sa place dans la case "Après", visiblement très satisfaite.

A ce stade, qu'est-ce que je perçois ? L'héroïne, Plastik toute en toc dans son rêve rose, a dégommé ses rivales minces, qui lui faisaient de l'ombre : elle est de retour dans sa réalité sans couleurs et sans reliefs mais elle vient quand même occuper le terrain dans la case "Après". Plusieurs interprétations possibles pour cette fin, sans doute : la fille mince est poussée dans le vide par la fille grosse, elle y disparaît définitivement. La fille grosse pose avec un air satisfait sous l'écriteau "Après". La question est : "Après" quoi ? "Après moi, le déluge ?" "Après les régimes, l'obésité garantie ?" "Après le laminage de la société de consommation, toutes les filles seront grosses ?" Après, après... à chacun de voir ce qu'il perçoit. J'en dis plus ci-dessous sur ma propre perception subjective.

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Si j'ai pris la peine de faire le debriefing in extenso de ce petit film d'animation, c'est pour montrer à quel point, il me semble, à aucun moment, cette grosse héroïne n'apparaît sous un jour un tantinet flatteur ou sympathique, voire même tout simplement humain. D'ailleurs, le titre est suffisamment évocateur : Plastik. Du toc. Du superficiel. Tout ce qui l'anime, ce sont des rêves de consommation et de gloire, rose bonbon et revanchards, qui oublient tout de l'essentiel de la vie.

Pour autant, je ne crois pas non plus que le réalisateur ait choisi de modéliser son personnage sous la forme d'une fille grosse pour attaquer les filles grosses. Je pense que, dans un souci de simplification des archétypes, il a choisi l'exact opposé physique des top models qui représentent la superficialité, pour symboliser la vacuité, la futilité et la banalité de toutes les filles qui ont ce genre de rêves en toc, qu'elles soient grosses ou minces.

Plastik, un court métrage de FA à la gloire des BBW, comme je l'ai lu sur des forums de size français ?! Dammit, les grosses de chez nous sont-elles à ce point en quête d'images auxquelles s'identifier qu'elles en attrapent des poutres dans les yeux et des lacunes dans les synapses dès lors qu'elles voient la représentation d'une grosse fille répondant à des canons esthétiques qu'elles considèrent comme flatteurs, peu importe le propos derrière les images ? Mais enfin, si elles s'aiment en revanchardes sans une once de cervelle et de scrupule mais avec des zoulies bottines roses et des formes bien lissées par la modélisation en 3D, après tout, grand bien leur fasse.

Quoi qu'il en soit, bravo à Thibault Guérin pour son film, et bon vent à Séoul. ;)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Très bon billet! J'avais pas vu ca comme ça! Très intéressant! :-p

Anonyme a dit…

j'ai beaucoup aimé plastik tout simplement parce que je lui ressemble.... tant d'un point de vue physisque sauf que moi je suis pas blonde que d'un point de vue moral.....
Moi aussi j'ai souvent rêvé de degomer les manequins et de prouver que je pouvais etre aussi jolie qu'elle dans un autre style certes mais aussi jolie voir même mieux parce qu'il ya la saveur en plus....

Alors merci pour ce petit film d'animation dont je vais m'empresser de mettre le lien sur mon blog....
bizzzz