13 janvier 2007

Cul rare

Illustrations de David Gouny ©


« Putain, ce cul ! » C’est tout ce qu’il a vu d’elle, ce cul invraisemblable, irréel, énorme : « Putain, ce cul ! » L’espace d’un instant, ses synapses ne connectent plus qu’en boucle sur ces trois mots en même temps qu’une déferlante d’images obscènes lui envahissent l’esprit et les corps caverneux qui lui font la trique. Hypnotisé, il décide en un quart de seconde qu’il se fiche de rater la séance de 20h00 au cinéma - et qu’un cul pareil vaut bien un détour du planning établi.

Fasciné et excité comme un chien en chasse, il la suit, veillant à respecter une distance de plusieurs mètres derrière elle sur le trottoir, obnubilé tant par la peur de se faire repérer que par l’envie de l’accoster pour la draguer sans vergogne. Palper au plus vite ces grosses fesses impudiquement engoncées dans un pantalon qu’on croirait prêt à craquer, c’est l’idée qui l’occupe. La fille est brune, cheveux mi-longs qui balancent au rythme de son pas lourd de grosse dondon. Il ne l’a pas encore vue de face mais s’il n’est pas certain de la taille de ses mamelles, il croit savoir qu’avec un cul pareil, elle ne peut que posséder un bon gros ventre bien gras et mou. Il l’imagine. Il trique.

Elle a tourné à droite dans la rue des Récollets. Un instant, il la perd de vue et les battements de son cœur s’affolent : et si elle était entrée dans l’un des premiers immeubles avant qu’il ait eu le temps de la voir ? Elle est toujours là, à se dandiner une dizaine de mètres devant ses yeux quand, à son tour, il s’engage dans cette petite rue un peu obscure en ce début de soirée hivernale. La tête enfoncée dans son col de blouson relevé, il commence seulement à ressentir de nouveau sur ses joues le froid piquant et humide des flocons de neige qui fondent doucement sur la ville. Elle marche vite, la garce : elle est sûrement en sueur sous la grosse doudoune qui lui sert de paletot. Il croit humer son odeur fauve dans son sillage. Il trique.

Arrivé à quelque cent mètres du boulevard, la rue est sombre et déserte. Illuminée seulement par les rares lueurs aux fenêtres des immeubles et par des réverbères épars. Et par ce cul, qui l’hypnotise toujours mais un peu moins, tandis qu’il se souvient des dizaines de grosses qu’il a déjà suivies sans jamais oser les aborder. A peine a-t-il le temps de hausser les épaules et de se dire qu’en reprenant sur le champ son parcours initial, il arrivera à temps pour la séance de 20h00, que la fille s’affale sur son gros popotin quelques mètres devant lui, victime d’une glissade. Stupéfait, paniqué et excité à la fois, il se précipite à son secours, se penchant vers elle en lui tendant la main pour l’aider à se relever : « Tout va bien, Mademoiselle ? » Elle lève vers lui un regard déconcertant de candeur et lui répond, dans un large sourire, qu’elle a heureusement sous les fesses des airbags intégrés qui ont amorti sa chute : une salope, il est bel et bien en train de serrer dans sa main la main d’une jeune et belle et grosse salope qui doit, à en croire la traction exercée sur ses biceps, bien faire ses 130 ou 140 kilos.


Elle est rapidement sur pied et prend appui sur son épaule pour retrouver son équilibre ; elle est moite, en sueur, essoufflée mais néanmoins joviale : « J’habite juste ici. Vous montez cinq minutes ? Je vous offre un café pour vous réchauffer ? Allez, je vous dois bien ça ! » Elle est incroyable, cette fille : est-ce une grosse cochonne qui ne cherche même pas à cacher son jeu ou une éternelle « bonne copine » qui croit que les kilos qui l’enrobent la mettent à l’abri du sexe ? Les pensées et les images se bousculent dans sa tête – son fantasme est là, en chair et en chair devant ses yeux ébahis, il a la trique, il répond dans un souffle presque timide quelque chose comme : « Pourquoi pas, c’est sympa ». Elle habite au deuxième ; il gravit l’escalier juste derrière elle, derrière ce cul qu’il pourrait presque renifler, là, si près, en mouvement juste sous son nez, il boit ses odeurs fortes de femelle magistrale. Au moment où elle met la clé dans la serrure de la porte d’entrée de son appartement, il est aussi essoufflé qu’elle, non par la volée de marches qui a provoqué le halètement de la dodue, mais par l’excitation qui lui serre la gorge et la braguette.


Tandis qu’elle se débarrasse de la doudoune dans laquelle elle est engoncée, elle l’invite à prendre place sur le canapé, toujours souriante mais un peu gênée, visiblement intimidée par la présence d’un inconnu dans son petit deux-pièces douillet mais sans âme, un peu en désordre, avec le linge mis à sécher sur un étendoir dans un coin de la pièce, avec ces grandes culottes en coton blanc et noir qui pendent de chaque côté, avec ces grandes culottes qui prédisent un peu plus encore un cul comme il en a depuis si longtemps rêvé. Et la voilà déjà qui sort de la cuisine, deux tasses de café fumant dans les mains, et qui vient s’asseoir à ses côtés sur le sofa, plongeant les doigts dans une boîte en fer blanc au décor cheap et désuet : « Combien de sucres ? » Sa main reste ainsi en suspens dans l’air un moment car lui ne répond pas, occupé qu’il est à constater la plénitude des seins qui envahissent son pull rose angora et par la grosseur du ventre qui déborde de son pantalon trop serré. Avec ou sans sucre, elle est à croquer.


Elle est assise tout près de lui sur ce canapé deux places qu’elle emplit presque aux deux tiers de son large fessier, elle pue la sueur : elle est bandante, la garce, d’autant plus bandante qu’elle ne semble pas le savoir. Alors il oublie sa timidité naturelle et saisit la main de la fille au-dessus de la boîte à sucre, la porte à ses lèvres pour baiser ses doigts, la main de la fille si chaude dans la sienne un peu froide qui ne demande qu’à se réchauffer dans les replis moites de ce corps majuscule. La main si chaude de la fille qui tremble un peu mais qui se laisse faire et se laisse aller, soudainement lascive dans ses amas de chair molle qu’il sent frémir à ses côtés. De ses joues râpeuses de mec mal rasé, il caresse le dos de la main si chaude et potelée puis se frotte à l’avant-bras, aux aisselles, aux nichons gainés d’angora. Il renifle en même temps qu’il s’imprègne de l’odeur un peu aigre de sa transpiration d’une journée. Elle se laisse faire, tel une grosse poupée sans résistance et sans esprit d’initiative. « Je t’en supplie, déshabille-toi », murmure-t-il dans un souffle à proximité de son oreille, provoquant dans son corps de sirène échouée une onde qu’on dirait sismique, magnitude 4 sur l’échelle de Richter : elle tremble, elle s’exécute sans dire un mot, d’abord le haut qu’elle ôte maladroitement, ses cheveux qui s’électrisent au contact de l’angora, sa tête un instant prisonnière du vêtement, les bras levés laissant apparaître des aisselles poilues fortement odorantes, qu’il hume à pleins poumons tandis qu’elle se tortille pour se débarrasser du pull-over. Pour le pantalon, il lui vient en aide, baissant la ceinture déboutonnée sur ce ventre strié des marques rouges de l’élastique trop serré et des vergetures translucides de la peau trop tendue. Elle est maintenant debout face à lui, en culotte et soutien-gorge bon marché et trop petits, débordante de chairs qu’on croirait plurielles.


Il faut la guider un peu, il le sent, elle est gauche et timide mais, à sa forte odeur de mouille, il sait qu’elle est prête à tout pour, elle aussi, s’abandonner au plaisir d’un orgasme sans garantie de lendemain. « Je t’en supplie, enlève tout, je veux te manger partout, partout… » Toujours debout, elle s’exécute : strip-tease intégral au rythme de son souffle saccadé de fille excitée et affolée des sens. Tandis qu’elle se baisse pour ôter sa culotte, il triture son ventre renflé de bourrelets élastiques et doux et moites au toucher. Alors qu’elle croise les mains dans son dos pour dégrafer son soutien-gorge, il malaxe ses grosses mamelles gonflées comme des pis prêts à lâcher du lait à la moindre pression. La voilà devant lui, nue comme un ver blanc et gras, somptueuse, écœurante – somptueuse. De sa position assise sur le canapé, son visage se trouve pile en face du ventre un peu tombant de sa partenaire, qui recouvre en partie le pubis velu : il empoigne ce bide, avec douceur et fermeté à la fois, au niveau du pli inférieur, soulevant la masse pour enfouir son visage dans la mollesse des contours de ce bas-ventre suintant, dégoûtant – bandant. Frémissante, elle est réceptive à ses caresses. Silencieuse hormis son souffle court, elle semble ouverte au jeu : qui ne dit mot consent. S’affalant sur la largeur du sofa, il lui lance l’invitation : « Viens… Tourne-toi, baisse-toi. Laisse-toi faire, laisse-toi aller, je veux te faire jouir avec ma langue. » Elle s’exécute, se penchant en avant, les jambes écartées qui découvrent enfin l’ampleur extravagante de ce cul qu’il suivait dans la rue quelques instants plus tôt. Entre ses cuisses ouvertes, il observe avec stupeur et émoi les chairs tremblotantes de son ventre et de ses seins dégoulinants, pléthoriques, avant d’empoigner les fesses à pleines mains, en leur raie centrale, pour écarter le cloaque et dévoiler les orifices gluants de sécrétions, et y plonger le nez pour renifler fort son odeur prégnante de femelle colossale. Le visage enfoui à l’entrée de la matrice, il déboutonne rapidement son jean et commence à se branler vigoureusement tout en dardant la langue pour commencer à fouiller les sillons ourlés de la fille qui halète et transpire, appuyée du bout de ses mains tendues sur la table basse qui lui permet de garder l’équilibre.


L’obscénité en son summum : il y est, triquant comme un âne tandis qu’il lèche goulûment tous les replis, du sommet de la vulve jusqu’en haut de la raie du cul, bruyamment, envahi de la salive abondante que lui cause l’écœurement lié à la saveur acre du cocktail de cyprine, de pisse et de sueur qu’il est en train d’avaler, dans lequel il vautre sa figure, alternant les coups de langue avec des frottements de son nez, son front, ses joues dans le marécage qu’il est en train d’explorer en profondeur, tel un soldat égaré de la troupe qui chercherait refuge dans une grotte humide. Il se sent minuscule dans le giron postérieur de cette fille aux allures de volcan juste avant la fusion, au moment où elle jouit dans un déluge de spasmes utérins et de soupirs lascifs. A mesure que le dégoût s’empare de son esprit, il sent monter dans sa verge le jus blanchâtre qui, bientôt, viendra éclabousser les nichons pendants de la créature, qui ballottent lourdement dans la direction du jet libérateur. Il ferme enfin les yeux, la tête adossée au canapé, dans un mouvement de repli intérieur sur l’océan d’apaisement qui l’envahit soudain, les mains toujours solidement agrippées à la bordure des cuisses énormes de la fille sans prénom qui, prévenante, se tourne vers lui, lui proposant, dans un sourire aussi béat qu’intimidé, un kleenex attrapé à la hâte dans la boîte à mouchoirs posée sur la table basse. Quelques instants plus tard, en dévalant quatre à quatre les deux étages qui le séparent de l’air libre, il serrera dans la poche de son blouson le numéro de téléphone qu’elle a griffonné sur un post-it glissé dans sa main au moment où, sur le seuil de l’appartement, il a une dernière fois embrassé les doigts de celle qui a laissé sur ses lèvres un goût de sel qui lui paraît poison.

Illustrations de David Gouny ©