20 juillet 2006

De l'utilité d'une "fat culture"

Photographies de Jan Saudek ©

Est-il vraiment envisageable de créer une "culture de la grosseur", une fat culture comme on dit outre-Atlantique et un peu partout dans le monde ? Il est fréquent, dans le monde de la size, de trouver une mise en parallèle avec le milieu gay. Ainsi, la culture fat dont certains rêvent pourrait, si l’on fait preuve de suffisamment d’imagination et d’ambition pour attirer positivement l’attention des grands médias, gagner ses lettres de noblesse en qualité de contre-culture, au même titre que la culture gay tellement en vogue depuis quelques années.

Quel est donc le point de vue de ces optimistes forcenés ? Je l’ai trouvé, parfaitement et intelligemment résumé, sur le blog d’une Américaine prénommée Deeleigh, Neuroblips, dans un billet intitulé Why fat culture? En voici une adaptation en français :


Une "fat culture", pourquoi ?

En apparence, il semble absurde de vouloir créer "une culture de la grosseur", une fat culture. Les gros, même dans les pays occidentaux, n’appartiennent pas tous à un même milieu. Nous relevons d’ethnies et de catégories socio-professionnelles multiples. Nos orientations sexuelles sont diverses. Certains d’entre nous considèrent leur corpulence comme un atout physique – un quelque chose en plus qui nous rend plus fort – tandis que d’autres la perçoivent comme un handicap ou comme une problématique (que nous souhaiterions) sans réel fondement. Certains d’entre nous sont capables de considérer le corps gros comme esthétique mais, dans notre grande majorité, influencés par la culture de la minceur qui nous a été inculquée, nous ne percevons dans le corps gros rien d’autre que de la laideur.

Pour les esprits étroits, les gros sont des gens qui n’ont aucun respect pour eux-mêmes. C’est pourtant faux mais, de ce fait, dans notre société, nous, les gros, avons tendance à adopter l’une des deux attitudes suivantes : soit dépenser notre argent, notre énergie émotionnelle et notre énergie psychique dans des tentatives d’amaigrissement, soit nous dissocier de notre corps.

Si nous ne sommes pas capables de prendre possession de notre corps, si nous n’acceptons pas notre corps comme une partie intégrante de notre identité, si nous ne vivons pas en pleine conscience dans ce corps qui est le nôtre, comment envisager l’existence même d’une culture basée sur ce corps stigmatisé ?

De fait, pourtant, ce sont là très précisément les raisons pour lesquelles il est nécessaire d’investir une culture de la grosseur, une culture fat.

Pourquoi les publicités Dove mettant en scène des femmes en sous-vêtements blancs, au physique commun, nous paraissent-elles si décalées ? Parce que les images de corps féminins que nous voyons habituellement dans les médias sont, elles, hors du commun, hors norme. Ce sont des photographies réalisées par des professionnels, dans des conditions d’éclairage optimales, avec des modèles féminins qui sont à la fois maquillés à outrance et d’une minceur hors norme. Qui plus est, comme si tout cela ne suffisait pas à les rendre esthétiquement « acceptable », on emploie aussi les techniques de l’aérographe ou de la retouche numérique pour rendre ces femmes encore plus minces, plus lisses, au plus près de ce que l’on considère communément comme la perfection physique. Voilà ce qui nous semble aujourd’hui esthétiquement « acceptable » : une image de femme fabriquée de toutes pièces.

Il n’existe pourtant pas qu’un seul type de beauté. Quand on se met à chercher la beauté chez une personne, quel que soit son physique, on la trouve.

Si l’on veut établir une comparaison, il semble que la culture gay soit un mouvement qu’il est légitime de mettre en parallèle avec la culture fat. En effet, tout comme les gros, les homosexuels constituent une minorité stigmatisée de gens appartenant à toutes les catégories ethniques, sociales et professionnelles. Bien sûr, l’homosexuel n’est pas repérable de par sa seule apparence physique (sauf s’il le souhaite), contrairement au gros, mais nombreux sont ceux qui pensent que l’orientation sexuelle relève d’un choix, même s’il est scientifiquement prouvé que la génétique de l’individu joue un rôle important dans un tel état de fait. Dans de nombreux milieux, on croit que l’homosexualité est une problématique purement morale ou psychologique, et on pense la même chose de la grosseur. Ces derniers temps, depuis quelques années déjà, la culture gay représente pour les grands médias une source d’inspiration particulièrement riche et, de ce fait, l’homosexuel a tout à la fois gagné une certaine respectabilité sociale, et perdu une bonne part du caractère stigmatisant que la société lui infligeait systématiquement il n’y a pas si longtemps.

Ainsi, on peut légitimement penser que si nous parvenons à élaborer une véritable culture fat, les grands médias finiront par s’y intéresser, et la grosseur acquerra ainsi ses lettres de noblesse en qualité de contre-culture digne d’intérêt.

La culture gay est apparue parce que les homosexuels avaient la volonté de se rassembler. Ils et elles forment naturellement des communautés gays parce qu’ils et elles recherchent, tout aussi naturellement, des partenaires gays.

Cependant, les gros, quant à eux, cherchent plutôt à éviter leurs semblables. Le fait même d’être gros constitue une expérience de solitude effarante. Certains d’entre nous recherchent des partenaires qui les apprécient non pas pour leur physique, mais en dépit de leur physique, parce que nous croyons que ceux qui sont spécifiquement attirés par les corps gros sont forcément une race à part de drôles de pervers fétichistes dont il faut se méfier. Et peu importe que, dans notre société, la plupart des gens aient été bien conditionnés à ne considérer comme attirantes que les personnes minces : est-ce qu’on se pose seulement la question de savoir si cela relève d’une perversion fétichiste ?.. Lorsque les gros se rassemblent, c’est souvent pour s’encourager à perdre du poids, et rarement pour d’autres raisons. Comme tout le monde, nous voulons appartenir aux communautés vers lesquelles nous pousse notre milieu social, quel qu’il soit, et ne surtout pas nous associer à une quelconque communauté de gros aux allures de ghetto.

Même si la stigmatisation tend fortement à créer un climat de désunion entre les gros, le besoin d’acceptation, de compréhension et de tolérance que nous avons tous, nous rassemble. Nous voulons faire partie du monde. Nous voulons sentir que nous appartenons à la norme. Nous voulons être en mesure d’agir sur des bases plus égalitaires. Nous nous sentons invisibles parce que nous le sommes quasiment, invisibles, dans les grands médias. Nous nous sentons à l’étroit dans la société, du fait même du peu de place accordée aux gros dans la culture médiatique populaire. Il nous faut insuffler de l’ampleur à la portion congrue que la société condescend à nous accorder aujourd’hui, en développant l’amplitude de nos imaginations et de nos ambitions. De fait, les rôles que nous sommes actuellement censés jouer sont à ce point inacceptables que seuls ceux qui ont d’eux-mêmes une estime très faible sont en mesure d’accepter l’étiquette de « gros » au sens aujourd’hui communément admis du terme. Nous devons nous réapproprier ce terme en le débarrassant de sa connotation péjorative. Nous devons résister et, surtout, reconquérir nos territoires.

J’ai envie de voir dans les médias des gros qui ont réussi dans la vie, qui sont séduisants et qui ont confiance en eux-mêmes : des gens actifs de tous horizons, des athlètes, des artistes, des universitaires, des hommes et des femmes d’affaires, des commerçants… J’ai envie de trouver des bandes dessinées et des jeux vidéo mettant en scène des héros gros. J’ai envie de voir des mannequins et des acteurs gros. J’ai envie de lire des romans qui mettent en avant des protagonistes gros. Nous avons besoin de davantage d’idées positives, nous avons besoin de ne plus nous sentir seuls au monde et, plus que tout encore, nous avons besoin d’images positives omniprésentes et sans cesse renouvelées, jusqu’à parvenir enfin à l’épanouissement véritable de notre esthétique et de nos ambitions.

*****

Le point de vue est intéressant, positif, à mille lieues des discours victimaires et/ou hygiénistes qui nous polluent trop souvent les mouvements de "grosse attitude" existant dans notre douce France. C’est pourquoi il m’a paru intéressant et enrichissant de le reproduire ici, dans la langue de Molière, des fois que certains y puiseraient de bonnes énergies. C’est le point de vue de Deeleigh et de nombreux fat activists américains, pas vraiment le mien. Le mien diffère sensiblement mais, pour éviter tout risque d’indigestion textuelle, je le réserve pour demain. :)

Photographies de Jan Saudek ©

4 commentaires:

Anonyme a dit…

quand j'entends le mot fat culture, je sors mon revolver

Anonyme a dit…

effectivement le terme de fat culture est quelque peu derangeant dans le sens ou elle implique que les gros seraient un minorité sociale alors que les gros qui se retrouvent le font parce qu'ils sont stygmatisés par un diktat normatif imposes qui en fait la reference actuelle .
si la norme de la mode et du bien paraitre social comme au 19eme etait l'opulence est ce que les maigres se reuniraient de la meme maniere???
alors peut etre que la "fat culture" est un elle un mal necessaire pour faire admettre au plus grand nombre que le mince n'est pas le seul format.

Anonyme a dit…

Le mien diffère sensiblement mais, pour éviter tout risque d’indigestion textuelle, je le réserve pour demain. :)
Dis m'dame c'est quand demain ????

Spandelles a dit…

Comme Luc, j'attends "demain" ...