14 juillet 2007

La Branleuse magnifique

Illustrations de David Gouny ©

Je suis née clitoridienne, ascendant anale, et c’est avec le majeur de ma main droite que, journellement, j’écris mon horoscope en cercles concentriques méticuleux et précis sur mon moignon phallique d’onaniste femelle, triturant mes tétons bandés gorgés de sang, passant sur mes lèvres le bout de ma langue dardée, yeux fermés sur la cérébrale projection privée des divines tortures qui, invariablement, me propulsent au septième ciel des dépravés solitaires.


Rituel immuable en tout lieu où l’incoercible envie me prend, comme une dague en plein cœur de ces chairs aqueuses et mouvantes qui me trouent l’entrecuisse. Rituel quand je m’allonge à même le sol ou sur un lit, cul nu, jambes écartées, genoux pliés, nichons à l’air. Rituel quand je fais glisser mes fesses jusqu’au bord du siège, que je vire ma culotte, l’abandonnant inerte comme un large bracelet de chiffon autour de l’une de mes chevilles, et que je libère mes seins des tissus qui les cachent ou les emprisonnent. Rituel quand, ressentant une puissante fringale de décharge orgasmique, je m’assois sur les chiottes d’un lieu public ou privé, que je fais jaillir mes seins hors de leur soutien-gorge, et que je descends mon slip jusqu’en bas des pieds, le laissant là comme une entrave qui me cisaille symboliquement les malléoles tandis que je me triangule le bas du corps en m’écartelant.


Sauf quand il faut ruser. Là où il n’est pas de mise de pratiquer l’exhibition en public non consentant alors que l’irrépressible envie de se branler est là, pourtant, viscéralement plantée. Quand il me faut ruser, manœuvrer, biaiser en oblique pour avoir l’air de ne pas y toucher. Alors, assise dans le métro, le bus, une salle de conférence au milieu ou face à un auditoire, je croise les jambes en ciseaux et fais osciller mon bassin dans un imperceptible mouvement de va-et-vient qui permet aux lèvres humides de mon sourire vertical de devenir les suceuses autophages de mon clitoris dilaté. Qui remarque mon manège pense peut-être que j’ai une furieuse envie de pisser – fantasmatique télépathie qui n’est pas pour me déplaire. Puisqu’elle me permet de m’imaginer, jupe relevée, accroupie sur une table au-dessus d’une bassine en aluminium, face à celui qui a perçu le discret balancement de mon fessier, lâchant bruyamment mes urines dans le récipient métallique, sous son regard narquois et inquisiteur. Et de percevoir en mon ventre, dans le roulis de ma berceuse génitale, quelques ondes orga-sismiques, quand j’imagine qu’il m’ordonne de me placer à quatre pattes devant la cuvette pour y laper ma pisse toute chaude et odorante et qu’il me maintient là en empoignant mes cheveux, tandis qu’une bite anonyme me pilonne l’orifice rectal avec une vigueur telle que mon visage se cogne parfois au fond du récipient et que je bois la tasse en suffoquant.

Je suis née branleuse, clitoridienne, ascendant anale, sur le zodiaque parallèle des affolés du sexe. Mes partenaires transitoires ne me servent qu’à fomenter de nouvelles images pour le cinéma permanent de mes séances onanistes solitaires. Vampire goulue de la semence, je dévore leurs spermes comme autant d’élixirs de jouvence qui alimentent – perfusion vitale – mon infinie concupiscence. Les transitoires peuvent tout exiger de moi hormis mon assentiment à leurs caresses. Je veux des brutes implacables et non de fades cunnilingues. Mes seins réclament la torture et non l’effleurement. Mes trous, pour apaiser leur douloureuse tension avide, ont besoin de pilons, de bourroirs, de butoirs, de ceux qui préfèrent coulisser dans l’onctuosité de la bouche ou du cul plutôt que dans la triste évidence de la chatte. Ma chair exulte à la schlague et s’étiole au câlin. L’ultime intime caresse, celle qui fait basculer dans l’abandon de la petite mort, je suis la seule à posséder le droit de me la prodiguer, tout en apparente douceur, pour faire de mon corps exténué un océan de spasmes émancipateurs. Et alors, amadouée, passer à autre chose, peut-être, pour quelques heures. Jusqu’à ce qu’un stimulus quelconque, interne ou externe, vienne réveiller l’infernal élément projectionniste que je me suis forgé pour faire de mon cerveau le théâtre permanent de mon anéantissement symbolique et piquant.

Je suis une branleuse compulsive et j’engrange les images vécues, lues, vues, entendues ou nées de mes no man’s land, pour composer l’iconothèque de mes fantasmes d’écorchée. Ainsi, souvent, je me touche en pensant à cet homme sans visage qui m’emmène sans mot dire dans une boîte aux allures d’enfilade de caves voûtées, me déposant au vestiaire comme un vulgaire paletot, glissant un gros billet à la dame, qui me fait passer derrière le rideau des vêtements pendus en rang serré sur leurs cintres, et m’ordonne d’une voix ferme de me déshabiller entièrement. Je m’exécute rapidement et en silence et, quand je suis totalement nue, debout et immobile, elle me toise et me soupèse des yeux et des mains. Elle me tend une combinaison en vinyle noir que j’enfile pour découvrir qu’elle est faite d’une manière telle qu’elle cache la totalité de mon corps, à l’exception de mon visage, mes seins et mon cul. La dame du vestiaire me commande ensuite de me mettre à quatre pattes sur une table basse de type chariot à roulettes et, une fois que je suis en position, commence par me pincer très fort le bout des seins pour, dit-elle, qu’ils bandent bien dur, avant de passer sa main gantée de latex entre mes cuisses sous le vinyle, pour vérifier mon humidité et étaler la mouille abondante jusque dans la raie de mes fesses. Alors elle ouvre une porte donnant sur une salle peuplée d’hommes attablés comme dans un restaurant souterrain. Je comprends que je serai leur mets de choix pour la soirée, tandis qu’elle pousse mon chariot jusqu’au milieu de la pièce, me pare d’un collier de chien auquel est attachée une chaîne métallique dont elle se sert pour me forcer à maintenir la tête relevée, en la reliant, par des jeux de croisement en tension maximale, à des sangles qui m’enserrent les chevilles. Elle disparaît ensuite par là où elle est entrée, fermant derrière elle la porte à double tour.

Alors les hommes se lèvent petit à petit, venant rôder autour de moi, bite en tête et en main, me gratifiant de mots doux à mon oreille, tels que salope, pute, cochonne, sac à foutre ou vide-couilles. Le premier à m’ordonner d’ouvrir la bouche, chienne, est aussi le premier à s’y engouffrer pour la baiser sans ménagement, me faisant éructer en venant me marteler la glotte de son gland au goût de foutre montant. Grâce à la table basse, mes trous sont à bonne hauteur pour toutes ces bites avides de se soulager. Pendant que je me fais ramoner les muqueuses buccales, je sens des mains anonymes, plus ou moins rugueuses, plus ou moins douces, plus ou moins timides ou implacables, écarter mes fesses et palper mes nichons, tandis que fusent les commentaires sur mon statut de pure fosse à sperme. Les queues défilent dans ma bouche et dans mon cul, et je m’applique à les satisfaire en suffoquant d’épuisement et de satisfaction mêlés, avalant le foutre qui gicle à ma portée et nettoyant de ma langue les bites qui ont malencontreusement été polluées de merde dans mon cul de souillon. Bientôt mon visage est barbouillé de tous ces spermes qui m’ont été giclés à la gueule et, quand les hommes se sont tous vidés et éloignés, m’abandonnant à mon sort d’objet, n’en pouvant plus, je me pisse dessus de plaisir en laissant aller les spasmes grandioses de mon orgasme cosmique.

S’ils pensent vraiment me réformer de ma débauche prétendument autodestructrice en me sanglant bras et jambes au misérable lit de cette sordide chambre d’isolement, les psychiatres de cet hôpital, c’est qu’ils n’ont rien compris au film de mes visions éroticoniriques, puisqu’ils alimentent si aimablement mes fantasmes de glauque et de contention. Et ce ne sont pas non plus leurs piqûres de simili-bromure de l’âme qui m’empêcheront de jouir sans même pouvoir me toucher, moi, la branleuse magnifique, qui fais la nique à leur morale de normopathes, et qui les remercie de m’avoir ainsi involontairement appris la technique de l’orgasme spontané, par la seule force de la pensée.

Illustrations de David Gouny ©

3 commentaires:

Avner a dit…

Fascinant !

Anonyme a dit…

c est beau comme peut l etre du Miller c est a dire juste MAGNIFIQUE !!

Anonyme en totale admiration

Anonyme a dit…

La mémoire a été dévalisée cette nuit par un rêve voluptueux. Ce matin, le lit été vide.