18 juin 2007

Le freak, c'est chic

Euh... moi, une déesse ?..
Street art
: David Gouny

Interpellée par Mel aujourd'hui, qui s'interroge, "cogite et cherche sa place entre les rondes et les freaks", suite à la lecture de mon blog, qu'elle analyse en ces termes, après avoir regretté l'édulcoration qui règne sur les sites de size acceptance :
Lipidineuse a une position radicalement différente. Elle se fout de plaire à Monsieur Tout le monde. Elle revendique le droit de vivre au grand jour mais dans une niche culturelle, celle des amateurs de graisse, les fat admirers. Elle assume d'être un freak aux yeux du monde, elle est une déesse chez elle. A travers son blog, elle nous propose de voir des grosses, des vraies grosses, des qui dépassent les 100 kg, pas des qui rentrent plus dans du 38 [...], au travers de regards d'artistes qui les aiment.
Mel me prévenant qu'elle espère ne pas trop trahir ma pensée, je me dois de répondre... me sentant à l'étroit dans la "niche culturelle" dans laquelle elle me place. Effusions du corps est un blog plus thématique que personnel, même s'il y a évidemment un peu de moi dedans. Un peu de moi, fragmentaire, le peu de moi qui, de loin en loin (voir la fréquence d'actualisation de ces lieux), s'intéresse à la grossitude, réfléchit quelquefois sur ses problématiques propres et donne à voir ou à lire des contenus culturellement axés graisse. Tout comme toi, Mel, je suis grosse, mais pas que. Je suis freak, mais pas que. Dans ma vie quotidienne, je n'évolue pas et n'ai jamais évolué dans les sphères de la size ou des fat admirers. La plupart des hommes que j'ai connus sexuellement m'ont désirée, non pas à cause ou en dépit de mon poids, mais parce qu'ils me trouvaient séduisante, bandante, belle, pour toutes sortes de raisons selon les circonstances. Auprès des fat admirers en particulier, je ne me suis jamais sentie "déesse", mais simplement objet d'un fantasme bien précis, actrice d'un jeu érotique comme je peux être, par ailleurs, actrice de jeux sado-masochistes, en pleine conscience et parce que j'aime souvent mieux le sexe quand il est bien épicé. Maintenant... la vie n'étant pas faite que d'érotisme, j'ai toujours eu avec mes partenaires au plus ou moins long cours des relations affectives et intellectuelles de qualité, quels que soient les fantasmes vécus ensemble. Autrement dit, les fat admirers ou les sado-maso sont ce qu'ils sont, certes, mais pas que. Le penchant sexuel ne fait pas l'individu, pas plus que le poids affiché sur la balance. Certaines personnes sont excitées à l'idée d'être chosifiées, d'autres non : c'est juste l'éternelle question de la quête du bon partenaire qui se pose, qu'on soit gros ou chétif, qu'on ait des fantasmes considérés comme tordus ou qu'on ait envie de câliner de manière plus classique. Pourtant, est-ce que celui ou celle qui repousse son/sa partenaire parce qu'il/elle a pris quelques kilos ou parce que quelque chose a changé dans son physique (comportement apparemment répandu), n'opère pas une chosification plus insidieuse et plus violente encore ? Notre rapport au corps est partout et sans cesse présent, avec sa cohorte de goûts, mais aussi de hontes et de dégoûts, qui forgent parfois des sexualités hors norme, assumées ou non. Mais ça, c'est une autre histoire.

"S'assumer". S'accepter comme on est. Je sais bien : c'est une lutte de chaque instant quand on est gros. On a souvent tendance à se dire que la vie sera tellement plus facile quand on aura maigri. Pourtant, souvent, on maigrit et rien ne change : pas moins de solitude à l'horizon, pas plus de prince charmant dans les parages, pas de meilleur boulot à la clé, etc. Si moi, comme d'autres, j'ai décidé, depuis quelques années, de faire avec mon poids, et non plus de passer mon existence à me battre contre lui, c'est parce que j'ai écumé des années de régimes délirants ou raisonnables, perdus et repris des centaines de kilos... J'ai eu envie de centrer ma vie sur d'autres choses que la bouffe, faisant confiance à mon corps : s'il s'enrobe, c'est que j'ai mes raisons, que ma raison tente de dénouer, notamment dans le cabinet du psy. S'il s'enrobe, c'est aussi parce que mes parents et mes grands-parents étaient gros, et que je ne fais pas le poids face à la génétique. S'il s'enrobe encore et toujours, enfin, n'est-ce pas justement parce que, dès l'adolescence, alors même que mes kilos à perdre étaient davantage dans ma tête que sur mes hanches, j'ai pratiqué des régimes draconiens débiles et traversé des périodes d'anorexie qui ont totalement déréglé le fonctionnement de mes cellules graisseuses ? Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, à quarante ans bien sonnés, je fais avec qui je suis et parviens même parfois à me sentir réconciliée avec moi-même. M'autoproclamer freak, c'est tout simplement une manière de faire valoir mon droit à la diversité, à la non-conformité, sans édulcoration plan-plan à sa mémère.

Car j'aime la vie dans sa diversité, avec sa palette de gens de toutes corpulences, de toutes tailles et de toutes couleurs. Evoquant la size acceptance, Mel écrit :
Pour autant qu'il soit juste, le combat a un petit air de victimisation, de droit à la réparation qui me gonfle un peu à haute dose. On nous ressert toujours que la beauté est une question subjective, qu'en d'autres temps la femme dodue était le canon de sa société. Victimes de la mode, quoi. Moi, je m'en fous un peu, à vrai dire. Je vis ici et maintenant, et je reconnais parfaitement aux autres le droit d'intégrer les normes sociales et esthétiques de leur temps. Les hommes ont le droit de trouver les minces superbes et de me trouver monstrueuse. Ce ne me fait pas plaisir tous les jours, mais c'est comme ça.
Je suis totalement d'accord sur l'aspect "gonflant" de la victimisation qui, moi aussi, me fait fuir. La suite, sur la subjectivité de la beauté, se discute : on peut être grosse et belle (voir Velvet, ci-contre, objectivement belle il me semble, qui a même suffisamment plu à John Galliano et à Jean-Paul Gaultier pour qu'ils l'enrôlent dans leurs défilés), on peut être mince et moche... Quant aux normes sociales et esthétiques, m'est avis qu'elles sont forgées par les médias omniprésents dans nos vies, à tel point que je les qualifierais même de normes socio-publicitaires. Le jour où les médias se feront le reflet de la diversité du monde, en mettant sur un pied d'égalité tout ce qu'on appelle les minorités visibles (et donc, notamment, les minces et les gros...), sans doute que les initiatives telles que les grosses dames de David Gouny (le Botero trash !) qui fleurissent dans le paysage du street art parisien depuis quelques mois ou, beaucoup plus modestement, ce blog, sembleront nettement moins étranges et dérangeantes.

Pour finir, il faut arrêter l'auto-dénigrement, hein. Les hommes ont le droit de trouver les minces superbes et de me trouver monstrueuse. Ce ne me fait pas plaisir tous les jours, mais c'est comme ça. Allons bon. Les hommes ? Tous dans le même panier ? Ca existe, ça ?... M'étonnerait. C'est comme ça ? Ben voyons. Le doute et le manque de confiance en soi ne sont pas l'apanage des femmes rondes ou grosses. C'est sans doute l'une des choses les mieux partagées au sein de la gent féminine, cette blessure de l'ego. Des histoires de filles, entretenues par les filles plus que par les hommes, généralement beaucoup plus indulgents. Hey les filles, faites-vous une fleur, posez sur vous-mêmes un regard bienveillant, pour une fois, face à vos miroirs : aimez-vous, bordel !.. en ronde ou en freak, mais sans attendre d'avoir (éventuellement) maigri. :)

Street art : David Gouny

1 commentaire:

Mel a dit…

Tu as raison, j'ai confondu dans ton blog le thématique et le personnel. Je t'ai perçue comme militant de la marginalisation volontaire, à défaut de te sentir à l'aise dans le monde des rondes. Quand je lis freak, je lis marginalisation et provocation, alors que toi, tu écris diversité et non conformisme. Mela culpa.

Ce que j'essayais d'exprimer chez moi, c'est que je trouvais la démarche (même si ce n'est pas la tienne finalement) intéressante, parce qu'elle me semble plus vraie, plus exigente dans l'acceptation et la valorisation de tout son corps (au contraire de la valorisation des seuls morceaux grand public comme la poitrine ou les bonnes joues).
J'avais envie d'en parler parce que je trouve le discours ambiant sur l'acceptation de soi trop uniforme. Pour autant, (et probablement parce que je l'ai mal comprise) je n'arrive pas à m'y retrouver complètement, ce qui fait que je cherche et cogite.

On est d'accord sur l'origine publicitaire des normes sociales et esthétiques. Mais en bonne pragmatique, je me contente de le savoir. C'est une composante de notre ici et maintenant. J'ai été un peu vite en parlant "des hommes". Tu as raison de souligner que leurs goûts et leurs couleurs sont plus divers qu'on nous le dit, sinon seules Kate Moss et Monica Bellucci auraient une vie sexuelle. Je sais que tu as raison sur ce point, mais pour moi ça reste de la théorie, parce que ça ne correspond pas à mon vécu.